Le corps des robots industriels

Les robots industriels sont des ready-made d’une grande beauté. Fruits d’une haute technologie, ils sont beau selon le crédo moderne : une forme définie par une fonction. Le fait de ne pas être humanoïdes mais d’exécuter des gestes précis dans l’espace leur confère une étrangeté parfois effrayante.

Précédent | 9/23 | Suivant

Pour un artiste, avoir accès à un robot industriel est excitant. en tant que ready-made, l’objet est déjà riche d’interprétation : un représentant de l’industriel, du capitalisme, de la déshumanisation du travail, mais aussi un outil dans ce qu’il a de plus glaçant : puissant, précis, froid.
C’est aussi un défi technique : programmer un robot demande du temps, une connaissance pointue des possibilités et risques de la machine. Le recours à un technicien est souvent nécessaire, ce qui crée un intermédiaire entre artiste et outil, pas toujours facile à gérer.

Robotlab

Les membres de Robotlab, Matthias Gommel, Martina Haitz, Jan Zappe sont d’anciens étudiants du ZKM, le Centre d’art et des médias de Karlsruhe. Ils continuent à collaborer avec l’institut depuis, et ont depuis le début des années 2000 travaillé avec des robots industriels.
Les membres de ce groupe pointu regrettent le manque de contact entre robots et humains, au sens le plus premier du terme : les robots sont confinés dans des espaces de production où les humains sont rares et ne sont pas les bienvenus. Leur premier but est donc d’importer des robots dans l’espace public, pour que le visiteur se confronte à leur masse, leurs mouvements, leur odeur et les sons qu’ils émettent.
Leurs premières expériences se feront avec un robot KUKA. En 2000, une série de courtes expérimentations permettent au public d’interfacer avec un de ces robots, grâce à un micro par exemple.

The six-axial articulated robot of the type KUKA KR 125 has a weight of 2.5 tons and a cruising radius of approx. 3 meters. It is able to move 125 kilogram at up to 2 meters per second with an accurate to two-tenths of a millimeter in space.

Des projets plus élaborés vont ensuite être mis en place. Du scratch de vinyle, des portraits de visiteurs, des silhouettes, et en 2007 est présenté un des plus aboutis des projets : The Bios Bible, une pièce où le robot calligraphie une bible. En 2014 une version écrivant la Thora sera exposée.
En 2014, le groupe propose The big picture, un dessin d’une dizaine de mètres carrés, réalisé au feutre fin en une seule ligne continue tracée pendant plus de deux semaines par un robot. L’image est un panorama de Mars, ramené par un autre robot. L’oeuvre s’inscrit donc dans la tradition du paysage, sauf que l’humain en est exclu aussi bien dans sa capture que dans sa restitution.

Cant’ Help Myself de sun yuan et peng yu

Première oeuvre robotique acquise par le Guggenheim, cette pièce de 2016 est un robot raclant continuellement vers elle un liquide épais et rougeâtre, évoquant le sang.

Les artistes ont encodé 32 mouvements qui s’enchainent aléatoirement. La tâche que semble effectuer le robot - garder près d’elle la masse liquide et grasse - est impossible, ce qui provoque chez le spectateur une forme d’empathie renforcée par les mouvements agités du bras muni d’une énorme raclette.

Black Flags de William Forsythe

William Forsythe est un chorégraphe américain, et les deux robots de Black flags sont donc des chorégraphes. Ce sont des Kuka, comme ceux de Robotlab, mais ceux-ci sont peints en noir, et manipulent chacun un drapeau de grande taille, trop grands pour des humains. Ces robots font donc la démonstration de leur puissance, de leur précision qui permet une synchronisation des mouvements des deux robots noirs.
Forsythe a beaucoup insisté à propos de cette pièce qu’il s’agit bien de danse, et que d’autre part il était important pour lui d’éliminer au maximum l’anthropomorphisme que peut produire le robot.

Huang Yi & Kuka

Chorégraphie encore avec Huang Yi qui a gagné de onmbreux prix avec ses duo avec un robot Kuka, encore.
Huang Yi est le seul artiste a toucher le robot, dans une chorégraphie millimétrée, car le danger est réel au contact de ces machines aussi puissantes qu’insensibles. La danse s’accompagne parfois d’un faisceau laser ou de la lampe d’une torche.
Il est à remarquer que si le robot reste installé comme un ready-made, on trouve chez Huang Yi de nombreuses traces d’anthropomorphisme : les gestes sont calculés pour donner une sensation de douceur, de grâce, d’attention humaine au robot, allant jusqu’à le faire saluer le public. La tension se joue donc entre la présence forte et impossible à réduire de la machine, et la transmission par la danse d’une gestuelle humaine.